Droit de la santé Par le 01/07/2016 07:45

Qu’attend-on pour dématérialiser ? Alors que l’augmentation des capacités de stockage et la reconnaissance d’une valeur juridique à l’écrit électronique pourraient laisser croire que la dématérialisation se serait facilement imposée, le numérique peine en réalité à supplanter le papier, et ce particulièrement en matière médicale.

La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé, dite loi Touraine, entend y remédier, d’une part en favorisant l’écrit électronique ab initio, d’autre part en réfléchissant aux conditions de dématérialisation des actuels dossiers médicaux papiers. Mais est-il vraiment nécessaire d’attendre l’entrée en vigueur de l’article 204 de cette loi pour entamer le processus de numérisation ?

La loi Touraine encourage les outils numériques plus que la dématérialisation. L’article L1112-1 du Code de la Santé Publique rappelle aux établissements de santé la possibilité de dématérialiser les lettres de liaison Hôpital – Ville. Mais ce rappel – puisque rien n’interdisait aux praticiens de recourir à un écrit électronique antérieurement à la promulgation de la loi Touraine – semble en réalité traduire une volonté d’encadrer le recours aux lettres de liaison dématérialisées. En effet, ce recours est conditionné, le législateur ayant précisé que la dématérialisation impose alors le dépôt de la lettre dans le Dossier Médical Partagé (DMP) du patient et l’envoi par messagerie sécurisée au praticien qui a adressé le patient et à son médecin traitant.

Dématérialiser le consentement pour encourager les outils numériques. C’était devenu une question récurrente avec la consécration légale de la télémédecine et l’apparition de l’e-santé : le consentement du patient peut-il être dématérialisé ? Jusqu’au 26 janvier dernier, quelques rares textes apportaient une réponse expresse (au demeurant, était-elle vraiment nécessaire ?), laissant professionnels et établissements de santé dans l’expectative. La loi Touraine semble régler la question en envisageant le recueil par voie dématérialisée du consentement du patient au partage d’informations relatives à sa santé. « Semble » seulement, puisque le législateur n’a envisagé cette possibilité que dans un cas spécifique, ne l’érigeant ainsi pas en principe à vocation générale. Retour aux classiques, donc : sauf à ce qu’elle soit expressément interdite par un texte spécifique, oui, le consentement peut être dématérialisé.

Dématérialisation des dossiers papier : le législateur demande au gouvernement de concilier droit des archives publiques et droit de la santé. L’article 204 de la loi Touraine laisse le soin au Gouvernement de rédiger une ordonnance permettant non seulement de dématérialiser les dossiers papiers conservés par les établissements de santé, mais surtout de détruire les exemplaires papiers. Car, rappelons-le, l’impossibilité de détruire un dossier médical papier tient essentiellement à des dispositions du Code du Patrimoine qui d’une part font des dossiers médicaux des archives publiques, d’autre part interdisent la destruction d’archives publiques. Le gouvernement va donc devoir déterminer les conditions de destruction des « dossiers médicaux conservés sous une autre forme que numérique quand ils ont fait l’objet d’une numérisation ».

Conclusion : les établissements de santé devront donc encore conserver leurs archives papier quelque temps… ce qui n’interdit pas de commencer le processus de numérisation.

La loi Touraine omettrait-elle la question de la validité de la copie numérique d’un support physique ? Le législateur a missionné le Gouvernement pour d’une part « encadrer les conditions de destruction des dossiers médicaux conservés sous une autre forme que numérique quand ils ont fait l’objet d’une numérisation » et d’autre part « préciser les conditions permettant de garantir une valeur probante aux données et documents de santé constitués sous forme numérique ». Cette rédaction de l’article 204 fait craindre que ne soit pas traitée la question de la validité de la copie numérique d’un support physique. Or, si la jurisprudence a récemment admis comme preuve la copie d’un document dématérialisé conservé dans un environnement conforme à la norme Z42-013 (gageons que la référence, n’intéressera que les puristes), élément capital pour tout système d’archivage électronique, force est en revanche de constater la pauvreté de cette jurisprudence sur un point crucial pour la dématérialisation du papier (CA Lyon, 3 septembre 2015, Caisse de Crédit Mutuel Enseignant du Sud Est c/ X, RG n° 13/09407). Les juges ont en effet omis de s’interroger quant au processus de numérisation, de vérifier l’absence de modification durant cette phase. Ils ont donc pris en compte la durabilité de la copie, au détriment de sa fiabilité… et ce alors même que le Code Civil, dans sa version en vigueur au 1er octobre 2016, ne prend justement en considération que cette dernière caractéristique (futur art. 1379). Dans l’attente de la résolution de cette question, la conservation des originaux papiers s’avère donc nécessaire.

La fiabilité du processus de numérisation devra être au cœur des préoccupations. Le législateur français pourrait à cet égard s’inspirer de son homologue luxembourgeois qui, dans le cadre de la loi du 25 juillet 2015 relative à l’archivage électronique, a mis en place un référentiel complet relatif au processus de dématérialisation – abordant les aspects aussi bien techniques qu’organisationnels – destiné à conférer à la copie numérisée une valeur probante. Le décret mentionné au futur article 1379 du Code Civil, destiné à fixer les conditions relatives aux procédés de reproduction et de garantie de l’intégrité du document pourrait ainsi priver d’une grande partie de son intérêt l’ordonnance prévue à l’article 204 de la loi Touraine… et permettre aux établissements de santé de débuter la dématérialisation de leurs dossiers médicaux en toute sécurité avant même sa publication.

Au final, pour dématérialiser des documents médicaux, il faut :

  • Garantir la fiabilité du processus de numérisation du papier. La pratique connaît d’ores et déjà certaines solutions, dont des codes 2D incluant dans le document numérisé des informations telles que le montant, la date, l’identité. Cependant, ces solutions devraient s’avérer insuffisantes, puisque ne répondant pas aux conditions posées par le futur article 1379 qui exige une « reproduction à l’identique de la forme et du contenu de l’acte ». En outre, la fiabilité devra être assurée au travers d’un processus organisationnel strict.
  • Garantir l’intégrité du document dématérialisé. La dématérialisation de dossiers médicaux n’est sérieusement envisageable que si le système d’information permet de garantir qu’aucune modification ne soit possible sans porter atteinte au document. A cet égard, un arrêté en date du 7 janvier 2016 impose, en matière fiscale, l’apposition d’une signature électronique (RGS *) sur la copie numérique.
  • S’assurer de la pérennité du format de fichier. L’un des intérêts de l’archivage électronique est de pouvoir conserver les documents plus longtemps que la version papier. Qu’il s’agisse d’un écrit électronique ou d’un document dématérialisé, le système d’information doit donc recourir à un format de fichier pérenne ou susceptible d’être repris. Les services fiscaux exigent ainsi l’utilisation du format PDF.
  • S’assurer de la disponibilité des fichiers. L’intérêt de la dématérialisation réside en partie dans la possibilité de détruire, une fois le processus terminé, le support initial. Toute solution de dématérialisation doit donc proposer par principe une réplication synchrone des documents.

La vraie problématique que doit résoudre l’ordonnance prévue par la loi Touraine, c’est la destruction des originaux papiers. La conservation des originaux papiers est indispensable tant que n’auront pas été publiés d’une part l’ordonnance prévue à l’article 204 de la loi Touraine, d’autre part le décret d’application du futur article 1379 du Code Civil. Dans le cas contraire, l’établissement s’exposerait à des poursuites pour destruction illicite d’archives publiques et à la contestation de la valeur probante des documents numérisés.