La loi Touraine du 26 janvier 2016 a réformé l’article L1110-4 du Code de la Santé Publique relatif au partage de données à caractère personnel relatives à la santé d’un patient entre professionnels de santé et professionnels médico-sociaux. Pour mémoire, la loi a prévu trois cas de figure :

  • Le partage avec un ou plusieurs professionnels identifiés participant tous à la prise en charge du patient ( L1110-4, II) ;
  • Le partage au sein d’une équipe de soins, au sens de l’article L1110-12 ( L1110-4, III, 1er al.) ;
  • Le partage entre des professionnels ne faisant pas partie de la même équipe de soins ( L1110-4, III, 2nd al.).

Les deux premières hypothèses ont fait l’objet du décret n° 2016-994 du 20 juillet 2016.

Près de trois mois plus tard, le décret n° 2016-1349 du 10 octobre 2016 relatif au consentement préalable au partage d’informations entre des professionnels ne faisant pas partie de la même équipe de soins a été publié au Journal Officiel.

Revenons sur le 2nd alinéa du III de l’article L1110-4 – oui, le législateur et les juristes apprécient les courses d’orientation, mais exclusivement textuelle ! il dispose :

« Le partage, entre des professionnels ne faisant pas partie de la même équipe de soins, d’informations nécessaires à la prise en charge d’une personne requiert son consentement préalable, recueilli par tout moyen, y compris de façon dématérialisée, dans des conditions définies par décret pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés. »

Premier constat, le texte reprend la condition de nécessité du partage pour la prise en charge du patient. En revanche, le législateur n’a pas repris l’adverbe « strictement », de sorte que les informations à partager doivent être « nécessaires à la prise en charge » et non pas « strictement nécessaires à la prise en charge ».

Peut-on en conclure que la forme du consentement – exprès ou tacite – doit varier en fonction du degré de nécessité du partage ? Consentement tacite si le partage est strictement nécessaire et consentement exprès si ce n’est que nécessaire ?

Une telle grille de lecture paraît à la fois trop simpliste et trop complexe à mettre en œuvre.

Il doit donc y avoir un autre critère de distinction.

Deuxième constat, l’alinéa relatif au partage hors équipe de soins ne renvoie pas aux « professionnels identifiés » du II de l’article L1110-4, à la différence du III, 1er alinéa, qui utilise un démonstratif :

« Un professionnel peut échanger avec un ou plusieurs professionnels identifiés des informations relatives à une même personne prise en charge, à condition qu’ils participent tous à sa prise en charge et que ces informations soient strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins, à la prévention ou à son suivi médico-social et social. » Art. L1110-4, II

« Lorsque ces professionnels appartiennent à la même équipe de soins (…) » Art. L1110-4, III, 1er al.

En ne reprenant pas la condition d’identification du professionnel destinataire des données, le législateur at-t-il entendu permettre la mise en partage à destination de personnes non identifiées préalablement par le professionnel producteur / collecteur de la donnée ?

Le décret accrédite cette thèse, l’article D1110-3-1 conditionnant le partage à la délivrance d’une information écrite portant notamment sur les « catégories de professionnels fondés à en connaître ».

L’article L1110-4, III, 2nd alinéa pourrait donc permettre le partage avec des destinataires non identifiés mais sous réserve que ce partage soit nécessaire à la prise en charge du patient.

Le fait que le législateur n’ait pas repris ici l’expression « nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins ou à son suivi médico-social et social » tend à conforter cette lecture. en effet, l’idée d’une « coordination » ou d’une « continuité » dans l’intervention des professionnels – aux articles L1110-4, II et L1110-4, III, 1er alinéa – induit l’existence d’un dénominateur commun justifiant leur intervention respective.

En ne reprenant pas cette expression, le législateur n’a-t-il pas entendu permettre un partage entre des professionnels proposant des prises en charge indépendantes les unes des autres ?

Le cas échéant, ce serait une excellente nouvelle pour les professionnels de santé et ceux du secteur médico-social…

… mais une excellente nouvelle à (sérieusement ?) tempérer, au vu des conditions de forme posées par le décret du 10 octobre 2016.

Le partage d’informations hors d’une équipe de soins supposera :

  • La délivrance d’une information écrite, adaptée aux « capacités » de la personne concernée et de son représentant légal – ce « et » suggère que même en cas de représentation d’un mineur ou d’un majeur protégé, il devra être informé – quant :
    • aux catégories d’informations ayant vocation à être partagées,
    • aux catégories de professionnels fondés à en connaître,
    • à la nature des supports utilisés pour les partager et
    • aux mesures prises pour préserver leur sécurité, notamment les restrictions d’accès.
  • Le recueil du consentement exprès, « y compris de façon dématérialisée » – ce qui tend à suggérer la nécessité d’un écrit ou d’un support conservable – de la personne ou de son représentant et ce « par chaque professionnel » impliqué dans le partage d’informations en dehors d’une équipe de soins.
  • La mention du recueil du consentement exprès au partage dans le dossier médical de la personne ;
  • La mise en place d’une procédure permettant le retrait du consentement, y compris sous forme dématérialisée.

Enfin, le consentement ne vaudra que pour « la durée de la prise en charge » de la personne, « la prise en charge pouvant nécessiter une ou plusieurs interventions successives du professionnel ».

Avec de telles conditions, les professionnels devraient rapidement devenir de fervents partisans de « l’équipe de soins » !